Morton FELDMAN


Piano and String Quartet (une composition dédiée au Kronos Quartet et à la pianiste Aki Takahashi) s’ouvre sur maigre chapelet de notes arpégées au piano auquel répondent, en une sobre unisson, les cordes. La version fantomatique d’un motif musical semble alors surgir et errer dans l’espace ouvert de la composition. La forme ne se répète jamais exactement mais suit un subtil – presque imperceptible – fil de transformations et d’altérations de « basse intensité », jouant par exemple sur les registres grave/aigu.

Composé en 1985, le Piano and String Quartet est représentatif de la dernière période créatrice du compositeur minimal américain Morton Feldman. Au fil des années et des compositions, ses interrogations et interventions sur la matière musicale se seront portées sur des questions aussi diverses que l’indétermination, les changements de système de notation, les relations fécondes entre statisme/tension, le poids du silence. Un cheminement qui le conduira, vers la fin des années 1970, à interroger la composition en termes de durée et non plus de forme. C’est à ce moment que ses œuvres commencent à se déployer dans de vastes champs temporels, une démarche qui culminera de façon spectaculaire avec son Quatuor à cordes n° 2, d’une durée de plus de six heures. « Dès qu’on abandonne le principe des vingt/vingt-cinq minutes, les problèmes apparaissent. Jusqu’à une durée d’une heure, on maîtrise encore la forme, mais au-delà d’une heure trente, on accède à une nouvelle dimension. [...] Les formes musicales occidentales sont devenues des paraphrases de la mémoire. Moi, je suis intéressé par d’autres formes de mémoire. Au plus longtemps dure une pièce, au mieux l’auditeur se souvient-il de ce qu’il a entendu. La mémoire fonctionne mieux. On a le temps de réfléchir, de se souvenir de ce qu’on a entendu. Ces pièces longues ressemblent plus à des romans. »

À cette enseigne, l’auditeur est conduit à ne plus répéter mentalement son catéchisme de « mélomane averti », tâchant d’identifier les règles, formes et figures de styles associés à chaque genre musical institué ou, au mieux, à tenter de déchiffrer l’obscur dessein de l’artiste . La musique de Feldman l’invite au contraire à mouvoir son attention dans un nouveau milieu sonore inscrit dans un vaste espace temporel privé de ses repères classiques et où le phénomène acoustique prime sur toute autre question théorique ou compositionnelle. La musique devient affaire de perception, de réminiscences, de dispositif d’écoute.

(Jacques de Neuville)

rem: Il faut d’ailleurs noter que Feldman, à force de traits d’humour, d’aphorismes et de paraboles, s’est toujours interdit de figer son œuvre dans un quelconque carcan théorique, que celui-ci adopte un caractère prophétique (Stockhausen) ou se nimbe de l’aura des sciences «dures» (Boulez, Xenakis).

Morton Feldman, Écrits & Paroles, Les Presses du Réel, 2008.


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FELDMAN, Morton
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