Salvatore SCIARRINO

  • SUI POEMI CONCENTRICI I, II, III (FS3257) écouter

Si Salvatore Sciarrino, par son exigence en matière de maîtrise instrumentale et son intérêt attesté pour toute l’étendue du répertoire, peut se présenter en digne héritier de la tradition, il illustre aussi la révolution sonore d’après-guerre dans la mesure où il cherchera à rendre au timbre toute sa dimension et à abolir la dichotomie entre forme et matériau. L’assimilation des deux paramètres, qui fit se démarquer de nombreux compositeurs d’aujourd’hui de l’approche classique traditionnelle où l’œuvre est d’abord pensée avant de s’incarner dans le son, devait paradoxalement permettre à Sciarrino de se rapprocher du répertoire et même de lui conférer une seconde vie : l’œuvre du passé n’est plus cette structure abstraite pouvant se déplacer d’une formation instrumentale à une autre mais devient indissociable du corps sonore dont elle jaillit. Le mot « transcription » se révèle dès lors impropre et Sciarrino parlera davantage d’élaboration, de recréation ou de reformulation lorsqu’il approchera Bach, Scarlatti ou Gesualdo, découvrant, dans leur capacité d’anticiper, de pressentir les évolutions futures, le terreau d’une modernité et d’un travail musicologique immanent (Sciarrino parlera d’application inédite de la musicologie).

La clef de sa richesse imaginative et de sa cohérence est d’établir le mode d’écoute et l’expérience psychique comme lieux de synthèse de tous les paramètres : ainsi le silence n’est plus seulement absence de sons mais se définit comme une forme de surdité, tantôt paroi masquant la totalité de l’audible, tantôt océan de l’indicible où naissent et s’évanouissent les sons. Le silence n’est plus limité à ce qui précède ou suit l’affirmation sonore, il en est le porteur et demeure perceptible dans l’œuvre de Sciarrino grâce à un travail d’orfèvre sur les niveaux sonores, les attaques et les timbres portés parfois aux limites du volume sonore perceptible.

Sui poemi concentrici I, II, III est un triptyque pour orchestre à partir d’une œuvre plus vaste commanditée en 1987 par la RAI. Il s’agissait de composer la musique d’une série télévisée en cent parties ayant pour sujet La Divine Comédie de Dante. Sciarrino refusa de fragmenter l’ensemble, d’une durée totale de quinze heures, comme on le ferait pour un opéra et opta pour l’homogénéité et la continuité en réalisant un « arc musical unique, de proportions immenses et pourtant parfaites ». Sui poemi concentrici est la version concertante pour orchestre qui fut conçue en même temps ; réduite à un dixième du temps total, elle ne reprend pas le chœur prévu dans l’œuvre initiale et fut créée le 8 avril 1988 dans la salle d’émission de la RAI à Turin, c’est-à-dire trois jours avant le premier épisode de la série télévisée.

Si Sciarrino devait respecter la symbolique des proportions inhérente à l’œuvre de Dante, il ne se réfère, hormis dans le titre, à aucun élément littéraire ni ne conçoit l’œuvre comme une musique de fond ou d’accompagnement. Toute la narration est contenue dans la musique et l’intervention des différents solistes se résume à colorer de leurs spécificités l’atmosphère orchestrale et à personnaliser chacune des trois sections de l’œuvre ; rien n’empêche cependant d’y voir aussi quelques allégories sonores en référence aux personnages de La Divine Comédie. L’ensemble se déploie dans la continuité comme une longue pérégrination onirique ou méditative, ponctuée par le flux et le reflux de sons émergeant du silence pour s’y évanouir de nouveau.

L’Ensemble Recherche, créé à Fribourg en 1985, repose actuellement sur un noyau de neuf solistes ; son répertoire s’étend du post-romantisme à l’avant-garde actuelle, avec des incursions dans les débuts du baroque. Travaillant en autogestion, l’ensemble organise ses propres concerts à Fribourg et s’investit beaucoup dans l’enseignement et la formation de musiciens professionnels.

JL


() MEDIAQUEST

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