Günter MÜLLER


Günter Müller (Suisse, 1954) entame sa carrière musicale avec deux bouts de bois en mains. Il s’entraîne ainsi, sur une chaise, à reproduire les rythmes de groupes rock. Il devient batteur dans différents groupes et s’oriente surtout vers le jazz et l’improvisation. Il entame des études aux Beaux-arts et commence ainsi, via les arts graphiques et l’utilisation de l’ordinateur, un cheminement qui le conduit vers les musiques électroniques où il devient une personnalité importante par ses créations, ses productions, le lien qu’il établit entre plusieurs musiciens à travers son label For4Ears. Quand on lui demande s’il ne regrette pas de n’avoir pas suivi une formation musicale, sa réponse est sans ambiguïté : non, l’étude atténue la sensibilité et l’audace. C’est bien en artiste graphique et plasticien qu’il aborde la peinture de paysages sonores, d’un graphisme toujours précis, léché. Dans _Eight landscapes_Günter Müller joue en solo de son appareillage habituel : « selected percussion, mds, ipod, electronics, processing ». Il s’agit de huit tableaux, huit vues aériennes du sol, entre Colorado Springs et Chicago. Les photos, qui ont l’aspect fantomatique d’empreintes abstraites dans le plâtre gris, sont présentées dans le livret. Que ce soit en écoutant évoluer les sons qui encadrent les enregistrements, ou en laissant courir le regard sur les photos blafardes, je ne peux m’empêcher de songer à L’élevage de poussières de Marcel Duchamp. On est dans une autre dimension où des détails vivent leur vie, oubliés, non perçus, dans les marges, en dessous du réel, comme quand, regardant les pluches de poussières sous les meubles vibrer et se déplacer lentement, il nous semble contempler l’évolution d’autres organismes, cristaux mous et complexes, et surprendre ce qui anime les choses, les objets et les flux à l’origine de tropismes décisifs. Même s’il s’agit explicitement de vues aériennes, la perception balance entre le microcosme et le macrocosme, est-ce une vision qui révèle la structure d’ensemble, est-ce un galerie de détails structurels à partir desquels les sens recomposent l’ensemble, imaginent d’autres paysages, jamais vus, improbables, la peau d’autres planètes ? L’abstrait confronté au concret. C’est déjà une perception déroutante : un détail agrandi peut passer pour un panorama abstrait et une vue très éloignée, coupée de son contexte, ressembler au fragment infime, grossi mille fois, et révélant des topographies étrangères, dépaysantes.

Ensuite, le processus sonore est très captivant. Il évoque des mécanismes de préhension, des robots qui couinent en prélevant des échantillons de sol, des déclencheurs photographiques, l’onde lumineuse de flash. A la vue du paysage abstrait, des zones neuronales s’éveillent, sont excitées et travaillent à photographie ce qui s’offre à la vue, à en établir le relevé, en constituer une empreinte. C’est de cette manière qu’un paysage s’imprime dans le cerveau, devient un concept et un réservoir d’émotions. Et à partir de cette empreinte, l’imagination travaille et tente de recréer la vie invisible qui grouille dans les paysages. Zones humides, zones sèches, friables. Chocs entre le froid et le chaud. Parties lisses ou territoires striés. Ebullitions pétrifiées, reliefs engourdis. Accidents, anarchie ou organisation géométrique. Les sons reconstituent les couleurs, les présences animales, les lumières, pépiements, grognements, rampements, ombres qui filent. Surfaces abrasives, surfaces polies. Le dessin des nervures et articulations industrielles. Le cerveau sonorise la circulation des moteurs, les sillons machiniques, les engins agricoles qui tracent leurs dessins cosmiques dans les champs. Et toujours avec un sens incroyable de la pulsation.

(Pierre Hemptinne)


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MÜLLER, Günter
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