Steve REICH


« Cette musique n’est pas l’expression d’un état d’esprit momentané des exécutants alors qu’ils sont en train de jouer. C’est plutôt l’état d’esprit des exécutants à l’œuvre qui se trouve en grande partie déterminé par la musique qui varie lentement. En abandonnant sciemment la liberté de faire tout ce qui peut momentanément venir à l’esprit, nous nous libérons de tout ce qui vient momentanément à l’esprit. […] Le type d’attention qu’engendre le jeu “mécanique” est une chose qu’il serait bon d’atteindre plus souvent, et l’activité “humaine expressive” que l’on considère être naturellement humaine et que l’on associe à l’improvisation et à des libertés similaires est ce qu’il serait bon de limiter aujourd’hui. »
Steve Reich, cité par Michael Nyman, Experimental Music. Cage et au delà, Allia, 2005, p. 231 (traduit de l’anglais par Nathalie Gentili).

En 1970, Steve Reich revient d’un séjour d’études au Ghana auprès de Gideon Alorworye, maître du Ghana Dance Ensemble. On évoque souvent cette initiation à la polyrythmie africaine comme le déclencheur de l’idée de Drumming. Si au niveau purement musical, cette influence doit être relativisée, il n’empêche que ce voyage signale une particularité partagée par plusieurs compositeurs américains : l’attrait pour des techniques et traditions non occidentales (citons l’intérêt de John Cage pour l’Extrême-Orient et celui de La Monte Young pour l’Inde).

Drumming constitue en quelque sorte l’aboutissement d’une première période de la carrière de Steve Reich et du mouvement minimaliste. Durant les années 1960, l’artiste a contribué à l’éclosion de ce courant, notamment en participant à la création sur scène de In C de Terry Riley. À cette époque, la manière dont Reich compose et pense la musique est conditionnée par l’élaboration préalable de « procédés » qui déterminent à un tel point l’exécution que toute improvisation en est exclue. On est donc ici bien loin du principe d’indétermination prôné par John Cage. Une telle pratique écarte quelque expression que ce soit de la part de l’interprète, au service et à l’écoute de l’œuvre.
Le « procédé » est si important pour Reich que de source de la musique, il en devient le sujet. C’est ainsi que, comme l’explique Michael Nyman (cf. supra), « il doit se produire très graduellement et lentement, afin que l’attention soit captée par le procédé lui-même et par l’irrévocabilité de sa progression ». Ce point explique en grande partie la faveur de la répétition et l’usage de structures lisibles.

Drumming est ainsi constitué de quatre mouvements bien identifiables : un premier durant lequel sont jouées quatre paires de bongos accordés ; un second avec trois marimbas agrémentés de voix de femmes ; un troisième avec trois glockenspiels colorés par un piccolo et un sifflement, et un dernier qui unit tous les instruments. Toutes ces percussions jouées tour à tour donnent à l’ensemble une grande richesse de texture.

Steve Reich a déjà exploité dans ses œuvres précédentes ( Piano Phase en 1967 et Phase Patterns en 1970) deux des procédés qui constituent la sève de l’œuvre : le déphasage graduel et la technique des figures résultantes. Le déphasage graduel repose sur le jeu par deux instruments différents d’un même rythme que l’on va décaler progressivement, jusqu’à les éloigner d’une note. Cette opération est répétée afin de révéler les différents canons possibles d’une figure identique. Lorsqu’un auditeur écoute sans cesse un seul canon exécuté par un même instrument, il en vient à oublier les frontières de l’unité rythmique de base et à concevoir des unités « fictives ». Ces « résultantes » peuvent être également guidées par l’adjonction d’autres éléments : les voix de femmes ou les sifflements.

Ces procédés conduisent à l’élaboration d’une musique hypnotique, lumineuse et évidente. Cette impression qu’elle coule de source est voulue par le compositeur qui, dans un manifeste écrit en 1969, éclairait son projet à l’aide de deux images : 1° renverser un sablier et regarder le sable s’écouler lentement vers le bas ; 2° placer ses pieds dans le sable au bord de l’océan et regarder, sentir et écouter les vagues les enterrer progressivement.

Nyman, supra, p. 227-234.
Texte de Jean-Luc Plouvier accompagnant le disque Drumming, interprété par l’ensemble Ictus et Synergy Vocals (Cyprès, 2002).

(Alexandre Galand)


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