Kurt SCHWITTERS

  • URSONATE (1922-32) / THE REAL DISUDA OF THE NIGHTMARE (1946) (ES2965) écouter

« Rinnzekete bee bee nnz krr müü ? Ziuu ennze ziuu rinnzkrrmüüüü ;
Rakete bee bee.
Rummpff tillff toooo ?
Ziiu ennze ziiuu nnskrrmüüü, ziiuu ennze ziiuu rinzkrrmüüüü ;
Rakete bee bee,
Rakete bee bee. »
Extrait de l’ Ursonate (1922-1932)

Électron libre du mouvement Dada, Kurt Schwitters (1887-1948) exploite d’abord le style expressionniste en vigueur en Allemagne au début du siècle. Dès 1918, il réalise des collages caractérisés par une plus grande abstraction et par l’intégration d’éléments issus de la vie quotidienne : coupures de journaux, mégots, tickets de tram, etc.

C’est d’ailleurs une de ces œuvres, Das Merzbild (1918-1919), qui lui donne l’idée du nom de Merz, issu de la réclame Commerz Und Privatbank. Ce concept lui sert à définir l’art total qu’il cherche à atteindre en favorisant l’usage du fragment, du déchet. Cette esthétique du recyclage fait de Schwitters un des précurseurs majeurs du Pop Art, on pense à Robert Rauschenberg et ses montages d’objets hétéroclites. Au-delà des arts plastiques, le recyclage est une des tendances musicales les plus importantes du XXe siècle avec la musique concrète, le post-modernisme, etc. Sous le vocable Merz, l’artiste désigne ses fameux collages, mais aussi sa poésie, une revue, des sculptures.

Bien que son intégration au groupe Dada de Berlin ait été refusée par Richard Huelsenbeck, plusieurs caractéristiques de son œuvre se rapprochent des idées dadaïstes. Il fait d’ailleurs apparaître le mot sur la couverture d’ Anna Blume (1919), un poème d’amour où éclate son attrait pour le non-sens. Schwitters est très proche de personnalités majeures de cette tendance avant-gardiste, Raoul Hausmann et Hans Arp par exemple.

Durant les années 1920, son art se rapproche du constructivisme notamment suite à son amitié pour El Lissitzky et Theo Van Doesburg. Ce penchant se manifeste par un épurement des formes et par un intérêt grandissant pour la typographie. Dans la foulée, Schwitters crée une agence de publicité chargée de la promotion des encres Pelikan et des biscuits Bahlsen, entre autres.

D’après ses dires, sa réalisation majeure est le Merzbau : une construction à la frontière de la sculpture et de l’architecture. Cette œuvre est tellement importante à ses yeux qu’il l’élabore à trois reprises : d’abord à partir de 1923 à Hanovre dans la maison familiale, puis en 1937 en Norvège et enfin, en 1947 en Angleterre (inachevée). Le Merzbau est marqué par un état d’incomplétude permanent. Schwitters part d’une pièce dans laquelle il agence une structure en plâtre et en bois présentant un grand nombre de niches. Celles-ci sont petit à petit agrémentées d’objets divers : souvenirs, œuvres d’artistes amis et autres vecteurs de valeur sentimentale. Parfois emmurés afin de continuer l’ouvrage qui évolue de pièce en pièce, tous ces éléments forment une sorte d’autobiographie à la frontière de l’installation et de la réalisation plastique.

Le Merzbau, mais aussi les collages, laissent entrevoir une pratique artistique majeure des décennies à venir, celle de l’indétermination, du hasard. En peinture, elle donne bientôt lieu à l’expression lyrique et en musique à certaines des œuvres de John Cage ou de Morton Feldman.

C’est pourtant un tout autre genre musical que Schwitters va marquer d’une empreinte indélébile. En 1921, à Prague, il assiste à un récital de Raoul Hausmann qui interprète ses Plakatgedichte. Dans des poèmes sans queue ni tête, bien qu’écrits, celui-ci tente d’émanciper le langage de ses significations manifestes pour n’en garder que les particularités rythmiques et harmoniques. Avec Hugo Ball occupé au même type d’exercice depuis 1916, Raoul Hausmann participe ainsi à l’éclosion de la poésie sonore. Déjà les futuristes italiens et russes avaient prôné l’abandon de la grammaire et souligné toute la richesse du langage libéré de ses normes. En 1922, Schwitters va donner ses lettres de noblesse au genre en se lançant dans la composition de l’ Ursonate, une monumentale sonate pour la voix en quatre mouvements.

Durant les longues années où elle est interprétée en public par l’artiste, l’œuvre subit de nombreuses modifications. Ce n’est qu’en 1932 qu’elle acquiert sa forme définitive et qu’elle est publiée dans le numéro 24 de la revue Merz. Le texte y est accompagné de toute une série d’annotations concernant sa construction musicale et ses particularités de prononciation et d’articulation. Des signes destinés à aider un éventuel interprète sont incorporés à la partition, dessinée par le typographe suisse Jan Tschilchold à la demande de Schwitters.

Le titre complet de la sonate traduit une partie des intentions de son auteur. Sonate in Urlauten signifie en effet « Sonate en sons primordiaux ». Ce matériau de base de la poésie n’est plus le mot, mais la lettre. Schwitters forme ainsi des termes imaginaires associés en phrases scandées à plusieurs reprises, avec de multiples variations, notamment de rythme et d’intensité. Ces retournements de situation confèrent une grande variété d’expression au poète, tantôt étonné, tantôt rageur, joueur puis grave. Plus qu’une expérimentation théorique, l’ Ursonate donne ainsi à entendre une échappée vocale pleine de vie et non dénuée d’humour. Bien qu’énoncé selon les règles allemandes de la prononciation, le poème sonore constitue une recherche, originale et quasi inédite à l’époque, de langage musical élémentaire.

S’il s’agit bien d’une partition à suivre scrupuleusement, son interprétation requiert, d’après Schwitters, l’usage de l’imagination. C’est ainsi que pour la Cadenza, la partie médiane du dernier mouvement, il indique que l’interprète peut choisir d’utiliser la version écrite ou une autre de son choix. Il ajoute cependant que cette section a été composée uniquement pour ceux qui manquent d’inventivité. Plusieurs lectures en sont dès lors possibles. Au moins une interprétation de son compositeur a été enregistrée et conservée. Par ailleurs, les dernières décennies, quelques vocalistes excentriques tels que Eberhard Blum et Jaap Blonk (dont un enregistrement de 1986 et un de 2003 sont disponibles sur le même disque) ont entrepris, avec succès, l’exercice difficile de sa récitation.

Alexandre Galand



(1992) MEDIAQUEST

Îlots: Corps (également relié à l'ilot Utopie )

Glossaire: Pionniers, Poésie sonore, Travail sur la voix, dada / dadaïsme, lettrisme

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SCHWITTERS, Kurt
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