Anne-James CHATON


En tant que sorte de slammeur post-perecquien – obsédé par la collecte, l’archivage et l’art de la liste –, le poète sonore montpelliérain Anne-James Chaton (né à Besançon en 1970) fait, depuis dix ans au moins (Cf. l’album Événements 99) parler les moins nobles des lointains rejetons de l’invention de Gutenberg : tickets de caisse, reçus, titres de transport et tous ces autres petits papiers imprimés, bourrés de chiffres, de codes, de données – commerciales ou administratives – qu’on ne lit pas mais qui – eux – nous lisent et nous analysent, nous fichent et nous suivent à la trace. Les Événements 99 sont des relevés subjectifs de quelques journées de cette année, laquelle débuta par les bombardements de l’Otan au Kosovo et s’acheva, à l’aube de l’an 2000, dans la paranoïa informatique.

Collectées, copiées/collées, enchâssées bout à bout, ces informations énigmatiques (dans les langages alphanumériques des bases de données et de l’informatique, elles ont une « grammaire » propre qui souvent nous échappe) sont ensuite, sur scène ou sur disque, déclamées au rythme de notre époque (vite, donc) par la voix monocorde, lancinante, presque clinique de leur collecteur, accompagnées d’une boucle de sa facture qui fait « se mordre la queue » à un titre de l’actualité du jour (exemple : « Washington déraille en Irak »). De micro-événements soi-disant subjectifs et anodins (le parcours personnel du poète au sein d’une géographie très balisée et où il est loin d’être seul) se frottent ainsi à d’autres événements, soi-disant collectifs et importants (actualité internationale du jour, déjà oubliée ou recouverte le lendemain ou quelques jours plus tard).

Depuis lors, Anne-James Chaton a repris cette dernière thématique sur le morceau « Newspaper » de son album Le Journaliste (UnSounds, 2008) en duo avec le guitariste Andy Moor (Dog Faced Hermans, Kletka Red, The Ex) : à travers de vrais exemples, ils y interrogent à nouveau ce qui reste de la très particulière poésie racoleuse des titres de presse (La Tradition de la trahison, Baroud à Beyrouth, Les Basques tirent leur langue , etc.) une fois que le temps est passé, que le soufflé de l’actualité est retombé et qu’on les enfile comme des perles, détachées des articles qu’ils étaient à l’origine censés faire lire.

Tandis qu’en compagnie du musicien électronique Carsten Nicolai (sous sa casquette Alva Noto), en duo ou en trio encore avec Andy Moor, Anne-James Chaton poursuit le fil le plus numérique de sa poésie (par exemple la lecture de code informatique), il a développé récemment une série de vingt grandes sérigraphies à hauteur d’homme (1m76 de dimension verticale) correspondant à autant de Portraits (L’Agent de sécurité, L’Architecte, La Dentiste, Le Directeur adjoint, Le Syndicaliste, Le Torréfacteur, etc.) basés sur cette même idée de « faire les poches » à ces quelques individus pour faire parler, à travers tickets, reçus et autres extraits de compte, les traces accumulées de leurs déplacements et dépenses, c’est-à-dire ce qui reste de leur « liberté » de citoyens-consommateurs dans la France de 2008.

(Philippe Delvosalle)

À visiter (en ligne) : http://aj.chaton.free.fr/
À lire : Entretien avec Jean-Christophe Camps, Revue & Corrigée, n° 56, juin 2003.


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CHATON, Anne-James
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