îlot

Témoins

La production sonore sociale, avec l’industrialisation, l’hyper-industrialisation, l’extension des centres urbains, la croissance de la population, s’est considérablement développée. Parallèlement, les espaces naturels font de plus en plus figure de paradis perdus habités d’espèces de bruits à répertorier et préserver. La croissance de nouveaux tissus sonores industriels masque aussi la disparition de sons d’anciens métiers, voire de manières de parler, des mémoires. L’environnement sonore est de plus en plus complexe, il attire de nouveaux explorateurs et archéologues qui vont tirer parti de techniques d’enregistrement de plus en plus sophistiquées pour photographier et filmer ces univers sonores en mêlant l’artistique et l’ethnologique. Ces créateurs à l’écoute du terrain vont élaborer de nouvelles manières de raconter le monde en modelant les échantillons sonores réalistes, à même la bande d’enregistrement ou via l’ordinateur. Des poètes vont énumérer et décrire ce qui se passe dans la rue, aux carrefours, sur les places publiques : les mots imitent le débit de la vie. La marche rapide des travailleurs, flânerie des oisifs, trajectoires des véhicules, dégaines des uns et des autres, inscriptions sur les vitrines ou les camionnettes, irruption des textes publicitaires. La poésie s’empare de la musicalité de toutes les inscriptions banales de la vie, affiches, panneaux de circulation, tickets de métro, billets de concert, étiquettes commerciales, reçus de consigne.

Avec des appareils de captation bien développés, les témoins vont saisir des bribes de conversation, des tournures de langage éparpillées dans la rue, des accents, des cris et rumeurs. Des instantanés. L’artiste, comme un cinéaste, écoute ses prises de son, les coupe et les monte comme pour un film. La fascination pour les musiques de la nature va s’épanouir comme jamais : par exemple dans des portraits de fleuves, retravaillés en « sculptures sonores » et souvent présentés dans des galeries d’art (les lieux de présentation des créations musicales changent aussi). L’ouïe, sens souvent négligé, révèle de plus en plus ses capacités cognitives : des cartographies sonores sont réalisées, minutieusement, en milieu urbain ou rural. Dans les villes, la palpitation sociale est saisie au plus près : manifestations, émeutes, grands rassemblements populaires sont livrés dans leur théâtralité brute ou agencés avec des effets et des extraits musicaux.

L’écoute des sons environnementaux, les outils sophistiqués de captation et de transformation, le sens de la composition offrent de nouvelles formes de témoignages selon des syntaxes en perpétuelle invention où le champ musical rejoint souvent celui des installations et de l’art plastique. Ce sont bien de nouvelles plasticités du bruit naturel, industriel et des sons sociaux qui s’écrivent en fictions hybrides.