Derek JARMAN

  • BLUE - DVD (TW3523)

For Blue there are no boundaries or solutions.

Avec son écran monochrome, affichant une unique image fixe teinte en IKBInternational Klein Blue, le fameux bleu Klein – le film Blue est au départ l’hommage d’un peintre à un autre. Derek Jarman, cinéaste, peintre, écrivain, rêvait depuis longtemps de filmer ce clin d’œil de révérence à Yves Klein. Derrière ce concept se glisse toutefois une autre histoire, plus personnelle et plus poignante. Lorsqu’il entame le tournage de Blue en 1993, Jarman est gravement malade, et le traitement qu’il subit pour combattre le sida lui fait graduellement perdre la vue, ne lui laissant qu’une vision trouble, voilée de bleu. À travers ce film c’est un homme qui se sait mourant qui laisse un dernier message, un dernier statement. La bande-son va remplir ici un rôle-clé, compensant l’absence d’image par un travail sur le son rarement aussi poussé au cinéma. C’est Simon Fisher Turner, compositeur qui a travaillé sur la plupart des films de Jarman, qui va orchestrer ce paysage sonore. Le texte sera constitué d’extraits du journal intime de Derek Jarman, oscillant entre des moments prosaïques, visite à l’hôpital, un verre avec des amis, et des regards en arrière sur sa vie passée, sa carrière, ses amis disparus… Mais malgré cette charge émotionnelle le film n’est jamais amer ni nostalgique. C’est le testament de quelqu’un qui, comme le dit Turner, n’a aucun regret, aucune amertume, et envisage sa mort avec sérénité. Cette couleur bleue qui pourtant l’aveugle, qui marque la fin de sa carrière de peintre et annonce la fin de sa vie, devient dans le film la couleur de « l’amour universel dans lequel baigne l’humanité – c’est le paradis terrestre ». Mais s’il « protège de l’innocence le blanc », il est aussi « l’obscurité rendue visible ». Ce « bleu universel » est une « porte ouverte sur l’âme, un potentiel infini qui devient tangible ».
Cinéma pour l’oreille, poème sonore, Blue est une élégie sans lamentations, sans rancœur. Le ton en est mélancolique, mais il n’est jamais plaintif. Avec un talent infini, Derek Jarman métamorphose ses derniers moments en une magnifique épure, une perfection de minimalisme, servie par un très beau texte interprété par John Quentin, et par une reconstitution en trompe-l’oreille du paysage sonore qui entoure sa vie. Construction hyperréaliste, telle que Turner en construisit pour les précédents films du réalisateur, elle entremêle des prises de sons extrêmement détaillées et des pièces musicales fournies par presque tous les musiciens ayant travaillé auparavant avec le cinéaste. On y retrouve entre autres Brian Eno, Coil, Momus ou Turner lui-même. Mais c’est le son lui-même, et les gestes, les mouvements, les événements qu’il évoque, sans pour autant provoquer de redondance avec le texte, qui rend ce film, déjà fort particulier, encore plus étonnant. Le son ne sert pas ici de ponctuation, de simple confirmation de l’image, comme souvent au cinéma, et évite le travers inverse de vouloir tout dire trop explicitement, trop réalistement. Au contraire, la construction de Turner en fait plus qu’un décor, le son évolue comme par lui-même, narratif comme peut l’être un poème symphonique, suivant le même processus que le texte, collage de vignettes relié par un véritable stream of consciousness, un flux continu de parole, de réflexions, de confidences, de souvenirs traversant plusieurs époques, plusieurs émotions. Il suit la lecture que fait John Quentin de ce texte, allers-retours entre le quotidien de Derek Jarman, quelquefois traité avec un humour noir fort britannique, et des moments de véritable exaltation, d’extase mystique, l’extase du bleu, couleur sacrée, symbole de liberté, d’envol de l’âme, d’apaisement.

(Benoit Deuxant)

Our name will be forgotten
In time
No one will remember our work
Our life will pass like the traces of a cloud
And be scattered like
Mist that is chased by the
Rays of the sun
For our time is the passing of a shadow
And our lives will run like
Sparks through the stubble.
I place a delphinium, Blue, upon your grave.


Artists

JARMAN, Derek
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