Dariusz KOWALSKI

  • OPTICAL VACUUM (TW3881)

Optical Vacuum est un essai filmique du vidéaste Dariusz Kowalski. Réalisé en 2008, il poursuit ses précédents travaux Elements et Luukkaankangas, en explorant le thème de l’ère panoptique : la vidéosurveillance a envahi l’espace public, et contribue à multiplier les angles de vision, à l’image de nos webcams qui sans cesse aspirent des images du flux de données numériques. Si de nombreux travaux d’artistes de ces dernières décennies entrent en relation avec la vidéosurveillance – profusion s’expliquant par autant de motifs socioculturels ou idéologiques qu’esthétiques – l’enjeu de cette œuvre est d’abord esthétique. Bien qu’il prenne pour thème la captation et la génération permanente des images, le voyeurisme et la surveillance, ce film est moins un documentaire abordant la question éthique qu’une réflexion sur une nouvelle sensibilité liée aux lieux, ainsi qu’aux images produites en permanence par nos technologies modernes. Les montages de séquences polymorphiques d’images de caméras disposées en témoins en autant de lieux investiguent les marges et les confins des territoires de la représentation aujourd’hui. Ils imposent autant d’espaces et de temps marqués par la continuité d’une transmission et la mise en attente d’un événement, semblant confondre la présence, permanente, et l’absence de ce qui tarde à survenir. Cette dimension esthétique est renforcée par une bande son intégrant la voix de l’artiste britannique Stephen Mathewson qui livre un Journal, un récit en contrepoint de l’image, offrant un niveau de lecture supplémentaire à cette œuvre non réductible à la seule compilation de séquences filmées.

On trouve à l’origine de ce film le site Internet Opentopia.com, donnant à voir depuis 2004 des milliers d’images de caméras de surveillances et autres webcams, captées à travers le monde. Loin des débats sur le cauchemar « Big Brother » – formule qualifiant les institutions ou pratiques portant atteinte aux libertés fondamentales et à la vie privée des populations ou des individus –, la compilation d’images réalisée par Kowalski (d’une durée totale de 55 minutes) rend compte que le monde a changé : nous ne sommes pas observés par un œil unique, mais par des millions d’yeux. Aussi, c’est à une géographie mondialisée de non-lieux que nous confronte l’artiste. Rappelons comment dans le contexte actuel d’extrême mobilité l’anthropologue Marc Augé a engagé une réflexion sur le concept de lieu en fonction des notions d’identité, de relation et d’histoire. Pour l’auteur, ce contexte donne lieu à une situation de surmodernité et à l’apparition d’un nouveau type d’espace : le non-lieu. Augé a montré à quel point les individus, lorsqu’ils se déplacent dans ces « non-lieux », ces espaces privés d’histoire, sans temps ni singularité (aéroports, voies rapides, espaces de commerce, de transit, etc.), sont en proie à « des expériences et des épreuves très nouvelles de solitude », l’espace du non-lieu ne créant selon lui « ni identité singulière, ni relation, mais solitude et similitude ». Augé les définit comme des espaces mono-fonctionnels et cloisonnés caractérisés par une circulation ininterrompue et in fine peu propices aux relations sociales (pour Augé, le non-lieu autorise seulement [...] la coexistence d’individualités distinctes, semblables et indifférentes les unes aux autres »). Tout comme le mouvement opère des passages entre lieux et espaces chez Michel de Certeau, la relation opère des passages entre lieux et non-lieux chez Augé, ceux-ci étant déterminés par le type de relations que nous y entretenons. Si la notion de non-lieu est opposée à celle de lieu anthropologique, Augé spécifie qu’« il en est du non-lieu comme du lieu : il n’existe jamais sous une forme pure ; des lieux s’y recomposent ; des relations s’y reconstituent ». Ainsi, le lieu « n’est jamais complètement effacé et le [non-lieu] ne s’accomplit jamais totalement – palimpsestes où se réinscrit sans cesse le jeu brouillé de l’identité et de la relation ». Lieux et non-lieux peuvent donc coexister et leurs frontières sont perméables, malgré le fait qu’ils décrivent et produisent des réalités opposées. Aussi, il est possible de faire émerger du lieu dans le non-lieu, notamment en y créant des relations. Penser ces lieux dans le cadre de la postmodernité ouvre à des réflexions nouvelles : si les lieux ne sont que le produit de relations – entre l’homme et la terre, et entre des hommes –, et surtout de la conscience de ces relations, les lieux et les non-lieux n’existent pas de façon absolue. Ils peuvent être « habités » ; il n’y a donc que des non-lieux potentiels dont le devenir est lié à des pratiques sociales.

Ce n’est donc in fine pas tant le vide qui nous est ici donné à voir ( vacuum ) que l’absence. Une image, d’ailleurs, peut-elle être vide ? De la même manière qu’en musique le silence n’existe pas, dès qu’il y a visualité, il est toujours donné à voir. Mais le regard, souvent, se révèle impatient, en attente d’un événement, que quelque chose survienne, que quelque chose ait lieu, fasse lieu.

Sébastien Biset


(2008 (2004-2008)) MEDIAQUEST

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