Hugh DAVIES

  • WARMING UP WITH THE ICEMAN (UD1622) écouter

Faire de (presque) n’importe quel objet un instrument aussi unique que le seront les sons qu’il pourra produire, voilà l’idée. Voici plutôt une des idées de Hugh Davies. Au nombre des utopies sonores, comme laissées à terre après son passage, trouver quelques-unes de ses inventions : instruments d’exception au point de passer souvent pour installations ou sculptures. L’homme avait pourtant donné de belles preuves de sérieux musical en tant qu’étudiant d’Oxford University d’abord, puis d’assistant de Karlheinz Stockhausen, de chercheur au Groupe de recherches musicales et d’improvisateur triturant quelques objets amplifiés en « Company » du guitariste Derek Bailey et du saxophoniste Evan Parker, ensuite. Bien sûr, on constate quand même que l’élément dévie, remettant à chaque fois un peu plus en cause – ou en perspective – l’inéluctabilité des fondements d’une tradition musicale qui a toujours voulu en imposer. En somme, chez Hugh Davies, le chercheur a pris peu à peu l’ascendant sur l’exécutant.

Parce que certaines expériences vous convainquent un jour de ne plus dévier de l’axe sur lequel vous vous trouvez justement, en solitaire Hugh Davies chercha donc. Il en est ainsi sur Warming Up With the Iceman, disque qui présente quelques-uns de ses « Works for Invented Instruments » parmi lesquels on remarque deux versions de « Music for a Single Spring », titre à la tristesse contagieuse fait exprès pour permettre à sa folie compositionnelle de consoler en conséquence – des quatre saisons, Davies préférera toujours le printemps pour faire sonner ses objets amplifiés : Spring Song, Gentle Springs, My Spring Collection, Music for a Single Spring, Music for Two Springs, Music for Three Springs, toutes œuvres enregistrées dans les années 1970. La nature célébrée en quelque sorte par une collection hétéroclite d’objets manufacturés mais amplifiés aussi et dont les clameurs seront modifiées sous les effets de filtres divers. Quelque chose de l’alchimiste chez Hugh Davies : quelque chose de l’art divinatoire sur Warming Up With the Iceman.

Là et même ailleurs, serait-il possible que Hugh Davies ait tout réinventé seul ? Se jouant des présupposés et des évidences, qu’il ait prédit un jour les lendemains d’audaces musicales au chant d’une brosse à dents ou d’un grand ressort de métal rehaussé de pick-up magnétiques ? En appelant à un autre temps musical – voire, à une autre époque –, Davies s’appliqua à penser des œuvres d’un art brut envisagé en respect d’une belle esthétique de la sophistication. En conséquence, les sept pièces de Warming Up With the Iceman partent dans tous les sens et leurs structures chancèlent sous les effets multiples de gestes impossibles à réfréner – contagieux ceux-là, si l’on note ici que le mastering du disque fut confié au prometteur Joseph Suchy. Aux faits, enfin : Warming Up With the Iceman est un grand corps sonore traîné à terre jusqu’à décomposition, des combinaisons de cordes tendues et de pièces de métal en opposition, un peu de porcelaine raclée ou encore des clochettes et carillons patiemment caressés. Et puis les notes de ce « shozyg », instrument couteau-suisse dont Davies expose les nombreuses possibilités : grattements, pulsations, chocs, râles, autant d’éléments déclencheurs commandant le découpage de l’expérience en plans-séquences d’abstraction lyrique.

En vagabond générique, Hugh Davies divague en musique et invente à profusion pour se sortir du moment de réalité obligatoire, voire du présent implacable. À tel point que son fantôme traîne encore et sans doute à jamais dans les méandres des constructions que son enveloppe aura plus tôt édifiées. Pour l’auditeur, maintenant, l’idée n’est pas tant de chercher à suivre Davies que de le supposer rassuré à cet endroit du disque ou soudainement amusé à cet autre. Et puis, ensuite, de se souvenir qu’un musicien iconoclaste aura lutté avec pertes et fracas contre l’ennui distillé par les usages imposés – en musique comme ailleurs – pour mieux plaider en faveur de l’iconoclastie : parce que, depuis Warming Up With the Iceman, les ennuis d’usage n’ont plus jamais été les mêmes.

(Guillaume Belhomme)


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