Archie, Jeanne SHEPP & LEE


Inscrit au panthéon de l’histoire enregistrée du jazz – rayon free jazz/new thing – le blasé d’Archie Shepp fait parti de ces disques, qui, paradoxalement aux nombreuses fois où il a été cité comme référence « de manière évidente » et presque automatique, a gardé enfoui en lui, durant plusieurs décennies, le paradoxe de son combat. Issu de la période la plus prolifique, mais aussi la plus caustique du saxophoniste (dans le sens engagements et revendications politiques), les aspects orchestraux du morceau éponyme de l’album ont focalisé toute l’attention de la critique. Aspects orchestraux audacieux, surprenants, voire révolutionnaires et par là assimilés au « free jazz black power » où free jazz rimait avec lutte pour l’égalité des droits civiques, le texte entonné par Jeanne Lee a quant à lui échappé à tout commentaire approfondi.

En voici la traduction :

Blasé
N’est-ce pas toi qui l’es mon gars ?
Toi
Qui éjacules en moi
Mais ne me libères pas.
Je le dis sans haine
Mais avec amour.
Si les amants s’aimaient jamais vraiment ainsi
Comme ils se le disent.
Je t’ai donné du sucre (1)
Tu cognes ma matrice jusqu’à ce qu’il coule.
Toute l’Ethiopie t’attend
Mon fils prodigue.
Blasé, n’est-ce pas que tu l’es mon gars ?
Mais maman t’aime tu sais.
Elle t’a toujours aimé (répété)

(1) Loaf of sugar fait référence à sugar loaf qui désigne aussi bien l’argent que la semence féminine produite pendant l’acte sexuel.

Il s’agissait bien là de déceler la lame de fond, à travers la trame poétique de ces paroles souvent simplement considérées comme crues, osées, outrancières et provocatrices, toute la profondeur du malaise qui régnait alors au sein des communautés afro-américaines fin des années 60. En effet si les luttes au niveau social et politique étaient majoritairement menées par les hommes, elles ne laissaient entrevoir aucune perspective d’émancipation de la femme noire, qui était vue par les plus radicaux comme une machine reproductrice à engendrer les « combattants de la révolution »… Toute l’énergie fournie par les femmes au sein de la révolution n’allait pas être reconnue le jour du triomphe. D’où la désillusion et le malaise qui s’est cristallisé alors au sein de mouvements féministes de l’époque et auquel Jeanne Lee fait écho.

A lire l’analyse – brillante de lucidité – d’Eric Lewis “Blasé” de Jeanne Lee et la politique de l’identité”, dans Textuel n°60 (2010), L’improvisation, ordres et désordres. Même si l’auteur dit n’avoir qu’effleuré les archives du sujet il jette un regard nouveau sur l’histoire (très machiste) du jazz et ouvre le débat.

Bertrand Backeland


() MEDIAQUEST

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Artists

SHEPP & LEE, Archie, Jeanne
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