Geir JENSSEN


Cho Oyu est le premier disque – et jusqu’ici le seul – que Geir Jenssen ait publié sous son nom, et non sous celui de Biosphere, l’alias qu’il utilise depuis le début des années 1990. Sans doute est-ce parce qu’il lui semblait en marge de sa production habituelle, mais peut-être également à cause de l’investissement personnel que cet album a exigé. Cho Oyu documente l’ascension par Jenssen – accompagné par cinq autres alpinistes et un sherpa nommé Krishna – de la montagne du même nom. Cho Oyu est le sixième plus haut sommet du monde et domine la frontière entre le Népal et le Tibet, à plus de 8 000 m d’altitude. L’expédition a duré un peu plus d’un mois, dans des conditions assez extrêmes de froid, de fatigue et de souffrances dues à l’altitude.

Malgré ces difficultés, Jenssen a réalisé durant cette ascension une série d’enregistrements qu’il a utilisés ensuite pour produire ce document, réinventé dans l’ordre chronologique, depuis le départ à Katmandou jusqu’au sommet de la montagne. On suit ainsi la transformation du paysage sonore, depuis le brouhaha urbain de la vallée jusqu’aux solitudes des montagnes. S’éloignant progressivement des villes et villages, pour finir seul avec son guide dans l’atmosphère raréfiée des cimes, le ton de ses enregistrements devient de plus en plus épuré, et quasiment méditatif au fur et à mesure du périple. Carnet de voyage, mais pas carnet de notes, le disque est bien une reconstitution a posteriori, réalisée à partir des séquences enregistrées sur place, comme un tableau réalisé en studio à partir des esquisses, des croquis, récoltés à l’extérieur. Jenssen s’attarde sur certains sons, les isole, les met en avant, les met en boucle. Il en retravaille certains et en laisse d’autres intacts, présentant chaque morceau comme une anecdote de son voyage.

Ici on le voit dans la vallée s’engager sur la route qui le mène au Tibet, on entend l’effervescence des villages traversés, l’agitation des postes-frontières. Là on le voit croiser des bergers et leurs troupeaux. Plus loin, il tente à plusieurs reprises d’enregistrer les oiseaux qui suivent les alpinistes, à la recherche de miettes de nourriture. Plus haut encore, sa seule compagnie, la nuit, est le poste à ondes courtes qu’il a emporté et avec lequel il tente de capter la conversation des avions qui survolent l’Himalaya. En dehors des éléments, du vent, du blizzard, ce sera bizarrement la musique de cette radio, et l’ambiance qu’elle créait dans l’isolement de sa tente, dont il conservera le souvenir, resituant son importance dans les réminiscences dans son ascension. Geir Jenssen réutilisera quelques-unes des prises de son de cette expédition par la suite, dans l’album Dropsonde, mais dans un contexte musical fort différent, et cette fois sous son pseudonyme de Biosphere. C’est un peu par cet autre contexte qu’on comprend la particularité de ce disque dans la discographie de Geir Jenssen, et dans sa vie. Là où la musique était le propos, et mise à l’avant-plan, et les éléments concrets du paysage noyé dans la réverbération et l’écho, on a en comparaison dans Cho Oyu une exposition très claire des enregistrements, comme une image restée encore très vive dans sa mémoire.

(Benoit Deuxant)


Artists

JENSSEN, Geir
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