Baudouin OOSTERLYNCK


C’est un coffret de 4 CD. C’est une boîte magique, on l’ouvre et son contenu est inépuisable. J’y plonge, j’écoute, je lis les notes, avec ravissement, à chaque pas c’est comme si quelque chose de nouveau se faisait entendre alors que, paradoxalement, la musique repose sur une sorte de litanie spirituelle, répétitive mais mise en abyme. De l’émerveillement est tapi dans la durée. Sentir que cette durée résulte d’une volonté de se consacrer, concentré, totalement à une recherche musicale, provoque un étrange ravissement. Comme une technique de vivre, un chapelet qui égrène le temps.

L’instrument référentiel est le piano (ou parties de piano) préparé. Une sorte d’autel à triturer, placé dans un garage comme un établi de bricolage, et régulièrement, assidûment, Baudouin Oosterlynck vient y faire ses dévotions, ses bricolages, ses recherches. Les notes écrites par le musicien sur son expérience sonore sont remarquables. J’en ai rarement lu de semblables, s’agissant d’expliciter la nature d’une expérience musicale singulière. La manière dont il relate ses relations au son, au silence, à l’instrument, aux notes, au clavier, aux espèces de pensées qui préparent la musique en amont, et en libèrent l’énergie et en préparent le formatage, a quelque chose de mystique sauf que la description des processus et dispositifs est attachée aux faits, aux gestes, aux circonstances concrètes, pratiques. Une sorte de mystique musicale démystifiée… Mais à travers ses expérimentations, Baudouin Oosterlynck est en communication avec des forces, des esprits, des dimensions autres, et il cherche à renouer avec ses premières grandes émotions musicales : « J’ai communié tant de fois à l’esprit et au cœur de W.A. Mozart, Schubert, Chopin, J.-S. Bach, Béla Bartók, Debussy, Cage. Je me souviens de longues heures que je passais à écouter face aux haut-parleurs pour m’enivrer au maximum de leur merveilleux. » Et l’espèce d’exercice incantatoire rugueux, rudimentaire dans le sens où il cherche à ne malaxer que des sons élémentaires, primaires (comme on parle de couleurs primaires), recrée bien les conditions d’une extase, oubliée, première.

Quand je parle de bricolage, c’est dans l’aspect extérieur de la démarche. Il démontre une grande connaissance technique, théorique de la musique, et une maîtrise certaine des technologies sonores. Un autre élément important dans ces compositions est l’enregistrement de personnes handicapées dont les voix sont retravaillées. Notamment pour un formidable « Oratorio » de sept minutes. Les traces de l’éducation religieuse resurgissent sous forme de fausses incantations latines dans « In memorianm collegii ». « Le matériau sonore accentue le côté rasoir des heures passées à la chapelle du collège. Mais attention, cette œuvre a des accents très religieux, notamment dans les parties des notes pincées (tocsin). » D’autres pièces sont des conversations, d’étranges histoires comme spontanées, relatant le quotidien d’une expérience à la fois ordinaire et complètement fantastique. Expérience sondant le réel, des éléments normaux d’une réflexion sur la musique et l’imaginaire et en même temps cherchant à en saisir l’essence, la particule élémentaire, par un biais surréaliste. Et c’est dit avec une simplicité confondante. Lumineuse. Ainsi de « La Gloire » qui expose des projets de pièces musicales, de relations aux publics qui s’incluent dans la pièce de musique, de mécanisme conduisant à la reconnaissance. Ou bien « Première Conversation paranoïaque » entre Magritte et Léonard de Vinci, à propos de Joseph Buys et Jésus-Christ. Un sens fabuleux de la narration. Entre rire et vérité. Dans « Hier soir », on touche à quelque chose de bouleversant concernant ce qui se noue entre le piano et lui. On y entend des choses ainsi : « On utilise trop les sons. On les viole de leur silence. Une corde aime se taire… Il y a des jours où j’aimerais être un instrument que l’on ne fait plus résonner. » Baudouin Oosterlynck est aussi un réputé explorateur de silence, presque un pionnier. Il a entendu et enregistré des silences que personne avant lui n’avait répertoriés. Comme tout le monde sait, sans silence pas de musique. On touche bien dans ce coffret (CD + notes) à quelque chose de fondamental. En explorant sa science exceptionnelle du silence et des sons, Baudouin Oosterlynck est devenu aussi un grand sage de l’installation sonore.

Flamands/Wallons
Extrait d’une note savoureuse de 1978 :
« L’aspect S présent dans ma musique serait dû au francophone en moi : nuancé, caméléon, serpent, doux… L’aspect Z présent dans ma musique aussi serait dû au Flamand (germanique) en moi : cassant, intransigeant, efficace, tranché. Certaines pièces sont réalisées en deux fois. Un auditeur me demanda après l’audition des bandes quel aspect venait en second pour savoir quelle culture corrigeait l’autre chez moi. Je crois que c’est aussi souvent l’un que l’autre. »

(Pierre Hemptinne)


Artists

OOSTERLYNCK, Baudouin
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