Terre THAEMLITZ


Trans-sister Radio est le résultat d’une commande passée à Terre Thaemlitz par la Hessischer Rundfunk, il s’agit d’une création radiophonique ayant pour thème le rapport entre transgenre et transport. La thématique du transgenre, de l’ambiguïté sexuelle, à travers les exemples de la transsexualité, de l’homosexualité ou du travestissement, est présente dans toute l’œuvre de Terre Thaemlitz. Ce thème dont il veut préserver la complexité, en dépassant la simple opposition entre hétérosexualité et homosexualité, est pour lui un débat plus large autour de l’identité sexuelle. Ce débat doit aussi aborder selon lui les nombreux cas intermédiaires, qui échappent totalement à cette simple dichotomie, comme tous les cas particuliers, tous les cas minoritaires mais extraordinairement complexes, qui s’écartent de la norme et mettent en lumière la pression de la conformité, de la normativité. Tout ce qui est conforme à la norme est considéré comme normal, par définition, et cette constante référence à la culture dominante, possède des conséquences politiques, économiques et judiciaires, que Thaemlitz développe dans ce disque. Parmi les exemples abordés, celui d’un transgenre japonais, garçon habillé en fille, montre la multiplicité des approches – transgenre, queer, travestis, metrosexual, androgyne, etc. – et l’importance du regard social, extrêmement différent au Japon et en Occident. L’idée d’une certaine tolérance visuelle, d’aborder cette option comme un simple fashion statement, appliquée aux transgenres comme à d’autres démarches vestimentaires ne nécessitant pas de jugement, est opposée à d’autres circonstances dont est absente cette ouverture d’esprit, ou cette tendance japonaise à éviter la confrontation. Ainsi d’un reality show, illustrant la politique culturelle des identités, à travers l’imposition d’une image stéréotypée des genres. Une jeune fille s’y voit jugée pour ses allures de « garçon manqué », et stigmatisée pour sa déviation des clichés totalitaires concernant l’apparence et le comportement « normal » du sexe féminin.

Un autre point de départ est donné par l’obligation, lors d’un contrôle policier ou d’un passage de frontière, de correspondre visuellement au sexe défini par ses documents d’identité, obligeant la personne à se conformer à sa définition légale, indépendamment de ses propres goûts, convictions ou orientations sexuelles. Un cas assez complexe est illustré par une notification du gouvernement américain, dans sa lutte contre Al-Qaeda, attirant l’attention des policiers et des douaniers sur les risques d’attentats terroristes associés aux « coutumes vestimentaires musulmanes ». L’idée de cette notice était à l’origine que ce vêtement, couvrant l’entièreté du corps des femmes, du bout des pieds jusqu’aux traits du visage, ainsi qu’une gêne diplomatique, interculturelle, pouvant aller jusqu’à empêcher la fouille corporelle, pourrait hypothétiquement servir de couverture parfaite à un terroriste – mâle – échappant ainsi aux contrôles sous un déguisement de femme. L’absurdité à relever est que cette possibilité soit envisagée bien avant la possibilité d’une femme terroriste habillée en femme, ou qu’elle prenne plus d’importance que celle d’un homme habillé en homme, par la simple force de la portée imaginaire irrésistible que ce scénario possède, mêlant la coloration paranoïaque de la menace à une outrance issue de films d’espionnage, de thriller, très éloignés du banal quotidien policier. Cette réglementation ajoute une angoisse supplémentaire aux transgenres, un regard suspect de plus, lors de toute confrontation avec l’autorité.

Thaemlitz ajoute à ce débat son cas personnel, notamment dans le cadre de son visa et de son permis de séjour au Japon. Outre le risque d’accusation de terrorisme, il ajoute que, s’il voyage habillé en homme, ses bagages remplis de vêtements féminins lui font craindre d’autres accusations : le fétichisme ou simplement le vol, voire la contrebande. Il profite ainsi également de son propre cas, qu’il définit comme queer, hétérosexuel et travesti, pour aborder la standardisation réductrice qu’imposent des systèmes politiques de surveillance des individus comme les contrôles d’identité, ou les systèmes socio-économiques comme le mariage. Ces deux pratiques sont selon lui une intervention irrecevable de l’État, s’interposant dans la vie privée des individus, et faisant basculer des choix personnels (l’apparence, le vêtement) et interpersonnels (les relations sexuelles et amoureuses entre les individus), du cadre privé (et du domaine romantique) au champ social. Il souligne également l’inadaptation des règlements officiels, basés sur une vision traditionaliste et conservatrice des choix de vie, dans la gestion des cas « intermédiaires », « déviants », imposant un modèle dichotomique homme/femme à des cas de figures transgenres – dans la relation de chaque transgenre à ce qu’il voit comme son « sexe opposé » – et transformant dans son cas sa relation amoureuse en une démarche marchande, facilitant son « immigration économique » au Japon.

(Benoit Deuxant)


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