ULTRA-RED


Les relations entre l’art et la politique, entre les idées et la prétendue abstraction de la musique sont un débat houleux, entamé par les principaux mouvements d’avant-garde au début du XXe siècle. Plusieurs solutions ont été proposées comme exutoire à ce qu’on a longtemps perçu comme une impossibilité : mêler l’exigence formelle et conceptuelle de l’art contemporain et de la musique expérimentale, avec la volonté de motiver le plus grand nombre vers l’action politique. Les membres de l’organisation Ultra-red, collectif américain actif dans un espace compris entre la musique électronique, les nouveaux médias (informatique, vidéo, etc.) et l’interventionnisme militant, citent Walter Benjamin et stigmatisent comme lui les artistes qui se drapent dans un emballage politique révolutionnaire sans pour autant s’engager plus activement dans les luttes de leur temps. Cet engagement, défini comme l’association et la collaboration des artistes avec des organisations sociales et des mouvements militants, est au cœur de chaque projet du collectif. Tout en maintenant une exigence quant à la forme que prendront leurs travaux, et leur pertinence esthétique, ils insistent sur l’inclusion dans le processus créatif d’une réelle collaboration avec les mouvements locaux, les organisations grassroots, concernés par le sujet du projet. Leurs œuvres mixtes, composées de musique électronique, de documentation vidéo, d’interventions artistiques et d’installations in situ, comportent ainsi un important élément journalistique ou documentaire, mais aussi une volonté activiste, tant dans le milieu de l’art, qu’ils jugent plutôt conservateur, que dans celui de la politique, qu’ils jugent plutôt fermé. Fondé à l’origine par deux activistes anti-sida, le collectif s’est progressivement élargi pour inclure de nouveaux membres, artistes, chercheurs ou collaborateurs, et pour étendre le spectre de ses interventions à des sujets de plus en plus nombreux : la politique du sida, la lutte contre le racisme, la lutte pour le droit des immigrés et le développement de communautés participatives.

Le projet auquel participe le disque Structural Adjustments, publié en 2000 par le label Mille Plateaux, s’intéresse au cas de deux quartiers d’habitation à l’Est de Los Angeles, Pico Aliso et Aliso Village, principalement constitués de logements sociaux, et menacés de démolition par des projets urbanistiques des autorités de la ville. Ces projets dissimulaient une volonté de la ville et des promoteurs d’« évacuer » le quartier sous couvert d’amélioration et de rénovation, avant de le livrer à la spéculation immobilière. Les habitants déplacés durant les travaux n’ont ainsi jamais obtenu l’assurance qu’ils seraient admis dans les nouveaux bâtiments ni que ceux-ci seraient toujours compatibles avec leurs moyens financiers. Les habitants se sont mobilisés et organisés en un syndicat de locataires, l’Union De Vicinos, et ont entrepris une lutte de longue haleine afin de faire valoir leurs droits et d’obtenir compensation.

Le disque a immédiatement posé question au collectif, dans la mesure où le sujet interdisait un traitement abstrait tel que l’aurait suggéré une approche plus esthétisante, comme la musique électronique en induit souvent. Ainsi, la première démarche des membres d’Ultra-red a été de se rendre sur place afin de réaliser des enregistrements de terrain, se concentrant sur les bâtiments des cités, sur leurs propriétés architecturales. Ils se rendirent compte ensuite que c’était ainsi passer à côté de leur sujet, en plaçant l’abstraction matérielle de l’espace physique avant les relations concrètes de la sphère sociale. Á l’opposé d’autres projets artistiques traitant d’urbanisme et d’architecture comme sujets esthétiques, apolitiques, et comme une froide utopie paradoxalement dépourvue d’êtres humains, le collectif a décidé alors de se recentrer sur les gens, sur la parole des habitants, sur le discours des militants de l’organisation, et ont fait passer le caractère ambient de leur musique à l’arrière-plan. Le projet s’est alors défini comme la volonté d’un retour du social dans le monde de la musique expérimentale, et a envisagé le field-recording à l’opposé de son acception traditionnelle. Les enregistrements de terrain qu’ils ont ainsi réalisés ont ainsi cherché à révéler le tissu social à travers les habitations telles qu’elles étaient « vécues » par les gens, et non à dégager une architecture idéalisée où les habitants ne seraient que des figurants au service d’une esthétique urbanistique.

(Benoit Deuxant)


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