ANTHOLOGIE

  • GHOST ORCHID - AN INTRODUCTION TO EVP (THE) (X 333L) écouter

  • FROM THE STUDIO FOR AUDIOSCOPIC RESEARCH (XJ962I) écouter

La technologie a très rapidement, et très tôt, intéressé les gens attirés par le spiritisme et le paranormal. Ces deux mondes, en apparence contradictoires, celui de la science et celui des esprits, devaient paradoxalement trouver un terrain d’entente dans l’utilisation des inventions apparues au milieu du XIXe siècle dans le domaine de l’enregistrement. Les premières tentatives de conciliation viendront de la photographie, qui sera utilisée pour présenter de manière scientifique la preuve de l’existence des esprits, en les fixant sur la pellicule, soit par le plus grand des hasards, soit durant des séances de pose particulières où le médium convoquait l’âme d’un disparu, soit encore en révélant, sur une photographie déjà développée, l’ectoplasme jusque-là invisible qui s’y trouvait, une méthode qui en dit plus sur la crédulité et le manque de connaissances techniques des sujets que sur la validité de la démonstration. Des photographes tels que William Mumler, William Hope, par exemple, ou Ada Deane, dont Conan Doyle sera l’ardent défenseur, se feront une réputation de photographes de fantômes et fourniront, sur demande, des clichés faisant apparaître la silhouette d’un être aimé aux côtés du commanditaire.

Le terme EVP (Electronic Voice Phenomena) désigne les phénomènes par lesquels des voix articulées, et donc potentiellement des messages, apparaissent spontanément sur un support magnétique, ou au travers d’une transmission électronique. Ces voix sorties de nulle part, enregistrées comme par accident, sont généralement interprétées comme des messages de l’au-delà et plusieurs chercheurs se sont penchés sur le mystère. Il faut distinguer les EVP des communications traditionnellement réalisées par des médiums avec les méthodes classiques du spiritisme, transe, tables tournantes, ouija-boards, etc. Les EVP sont ce que le physicien allemand Ernst Senkowski nomme une « transcommunication instrumentale », en ce qu’elles font intervenir des appareils électroniques tels que téléphones, magnétophones, téléviseurs comme support de la communication lors de l’expérience. Comme dans le cas de la photographie spirite, la principale nouveauté est ici que ces équipements permettent de conserver une trace des enregistrements, et donc une « preuve » de ces phénomènes paranormaux. Cette preuve divise plus qu’elle ne rassemble, et les avis sont partagés entre les partisans de l’explication spirite et ceux d’une explication plus rationnelle, interprétant ces enregistrements comme de simples canulars dans le pire des cas, ou comme des apophénies, c’est-à-dire une altération de la perception, qui conduit inconsciemment un individu à attribuer un sens particulier à des événements insignifiants. Le musicien anglais Joe Banks (disinformation) est de cet avis, et a réalisé plusieurs pièces sur ce thème sous le titre Rorschach Audio, qui est également le titre des recherches qu’il a publiées sur le sujet aux MIT Press.

Parmi les plus célèbres défenseurs de la véracité des EVP se trouvent Friedrich Jürgenson et Konstantin Raudive. Les deux présents disques se basent abondamment sur leurs travaux. Le premier, The Ghost Orchid, a été réalisé par le label Ash International en association avec la ParaPsychic Acoustic Research Cooperative [PARC], et est présenté en alternance par l’artiste suédois Leif Elggren et le chercheur britannique Raymond Cass. Il reprend un grand nombre de courts exemples de phénomènes vocaux électroniques, d’origines et de types divers : glossolalies/voix polyglottes, interruptions de programmes radio, interférences de communications téléphoniques, voix qui chantent, voix qui répondent, et les mystérieuses « Alien Voices ». Les plus anciennes occurrences de ces voix électroniques remontent, selon les recherches présentées dans le livret, aux années 1930, où des opérateurs militaires scandinaves se mirent à capter des signaux étranges apparaissant spontanément parmi leurs transmissions. Elles furent longtemps attribuées à des transmissions secrètes nazies, dont on ne trouvera néanmoins aucune trace après la guerre. Malgré des tentatives réalisées à la même époque par des spirites américains pour enregistrer sur phonogramme la voix des esprits, ces communications ne furent enregistrées de manière systématique qu’à partir des années 1950, avec de nouveaux moyens, de simples magnétophones dans la plupart des cas.

C’est ainsi en 1959 que le peintre suédois d’origine russe Friedrich Jürgenson en fera pour la première fois l’expérience, enregistrant par accident deux voix qu’il reconnut comme étant, respectivement, celles de son défunt père et de son épouse disparue. Ces voix non seulement apparurent a posteriori sur la bande magnétique, mais prétendirent s’adresser directement à lui et avoir un message à lui communiquer. Il consacrera plusieurs années de sa vie à essayer de capter d’autres manifestations. Le résultat de ces tentatives est présenté sur le second CD, From The Studio For Audioscopic Research. Son assistant, le Letton Konstantin Raudive, poursuivra ses recherches sur une plus grande échelle, en réalisant plus de 100 000 enregistrements, selon différentes méthodes, en captant le bruit statique de la radio, ou d’autres appareils, ou encore en plaçant un micro dans une pièce vide. Le résultat de ces enregistrements est généralement une courte séquence isolée, durant laquelle une interférence vient interrompre le silence ou le bruit ambiant, et semble présenter des caractéristiques linguistiques, malgré une construction grammaticale étrange et un rythme particulier, fort différent du langage ordinaire, et malgré également le fait de souvent mélanger plusieurs langues.

Quelques années plus tard, les recherches se poursuivent et fascinent toujours autant les amateurs de phénomènes étranges et de manifestations paranormales. Les théories avancées aujourd’hui pour les expliquer sont très diverses : outre la classique piste spirite d’un message provenant de l’au-delà, d’autres thèses sont à présent proposées, celle d’une manifestation physique du subconscient – comparable au poltergeist – se matérialisant à travers l’appareillage électronique, celle d’une mutation de l’humanité permettant d’imprimer directement le produit de l’esprit humain sur la bande magnétique, ou encore celle d’une tentative de communication soit avec une intelligence extraterrestre soit avec un univers parallèle. On le voit, la matière est sujette à controverse et les interprétations sont nombreuses et contradictoires. Quoi qu’il en soit, ces deux disques sont des documents sonores intrigants, qui laissent une place énorme à l’imagination pour rêver et fantasmer.

(Benoit Deuxant)


(1999) MEDIAQUEST
(2000) MEDIAQUEST

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